Marchands ambulants El Jadida paye le tribut de sa réussite

 Chahid Ahmed

Il n’y a pas de mois qui passe, sans qu’une ou plusieurs  fenêtres électroniques ne s’ouvrent, pour nous informer, images à l’appui, que les autorités locales viennent  de libérer tel quartier ou telle place de la ville de l’emprise des marchands ambulants. Ainsi donc et depuis le temps où dure cet appel à l’ordre, on serait tenté d’estimer que l’espace public respire au mieux, que les trottoirs ont repris leurs fonctions au service des légitimes usagers et que les véhicules peuvent circuler dans la fluidité, sans trop agacer nos nerfs par le tintamarre de leur avertisseurs.

Fort malheureusement et au grand dépit de tous ceux qui adhèrent à de telles campagnes sporadiques, les réalités sur le terrain s’avèrent généralement,  bien en dessous des efforts consentis et du temps perdu à l’organisations de ces opérations, dont les tenants et les aboutissants ne peuvent ignorer qu’au rythme où de développe cette économie parallèle, il serait illusoire d’imaginer qu’il est aisé d’arrêter la fureur d’une marée des équinoxes  en la contrant par d’éparses barrières de protection, aussi enracinées soit-elles. Cela explique pourquoi les accalmies qui suivent chaque opération, ne durent que le temps où les fauteurs se remettent de leur surprise pour renouveler leurs équipements et remettre les pendules à leur point initial.

Dans ces conditions, s’est-on jamais interrogé sur les conséquences qui peuvent se distiller insidieusement et à petites doses dans l’esprit des citoyens, suite à de tels états de fait ? Ces semblants de coups d’épées dans l’eau ne portent-ils pas en eux le risque de discréditer le sens de l’autorité aux yeux des citoyens tout en induisant les récidivistes dans l’erreur du tout permis ?

 A-t-on tout au moins réalisé que le cas des marchands ambulants et autres « ferrachas », comme on les catalogue, ne relève plus aujourd’hui du simple délit de l’occupation illégale de l’espace public, mais s’impose en un véritable phénomène socio-économique qui s’est profondément enraciné dans la vie quotidienne d’El Jadida au point de tisser depuis longtemps une solide toile disposant de ses propres règles, ses commanditaires et ses protecteurs ?

Loin de toute subjectivité et en toute honnêteté intellectuelle, il nous est permis de ne pas trop tenir rigueur de ce d’aucun qualifient d’inefficacité des descentes surprises que s’entêtent à entreprendre certains responsables. Il faut bien reconnaître que les défis sont de taille et les actions menées pour les réguler sont disproportionnées par rapport à l’ampleur des réalités d’un tel phénomène où s’enchevêtrent les impératifs socio-économiques, les complaisances à connotation politique en plus des complicités de certains véreux qui trouvent leur compte et leur ascendant tant que les eaux virent au trouble.

Il faut souligner que les premiers signes annonciateurs de cette problématique se sont fait sentir dés le début des années 90, lorsqu’on annonçait à qui voulait le savoir, et sous différents titres ; « El Jadida, miroir aux alouettes », « El Jadida ou la ruée vers l’or », « Les hirondelles qui prédisent un futur mauvais printemps » … malheureusement les esprits étaient ailleurs et nos alertes sont restées lettres mortes.

Rien ne nous empêche de rappeler aussi, qu’au début les années 2000, lorsqu’une certaine ville d’El Jadida, d’habitude sereinement emmitouflée sous les pans de son passé et suffisante de ses activités commerciales, se voit bousculée de manière brusque par les premières vagues d’un flux migratoire  à caractère rural et dont les origines ne sont autres que les contrées fragiles du grand Doukkala, où les jeunes générations se trouvent soudainement tentées par l’aisance citadine et l’opportunité de s’octroyer une petite place à l’ombre du futur pôle économique du pays. Premiers pas à franchir ? Quoi de plus simple et de plus abordable qu’une petite aventure dans le commerce informel.

C’est ainsi, que l’aventure a fait boule de neige au point où le centre ville commence à sentir l’étouffé sans que ces indicateurs n’alertent sérieusement les gérants de la ville, alors qu’il était encore possible de maîtriser la situation et éviter ainsi le casse tête chinois auquel on se confronte de nos jours. Même le projet du « Marché ambulant », qui a été préparé par l’Association « Madinati », en collaboration avec l’Agence urbaine (Antenne d’El Jadida, dans le temps), n’a pas été pris en considération. Un projet qui part du principe d’un recensement étudié des marchands ambulants existants, de leur rassemblement en une même entité qui englobe les différentes activités puis leur mobilité quotidienne selon un schéma préétabli, suivant un découpage étudié pour qu’aucun quartier ne supporte à lui seul et à longueur de semaine l’entière pression du fardeau.

 La donne a beaucoup changé par les temps qui courent et le mal  n’obéit plus aux classiques remèdes d’autrefois. L’état actuel des choses doit faire appel à une approche mûrement réfléchie et largement partagée, qui doit prendre en compte la situation dans sa globalité afin d’arrêter une vision claire et participative, où les politiques, les autorités locales et la société civile doivent s’impliquer pleinement afin de rechercher la formule la mieux adaptée, ne serait-ce que pour réguler le flot de l’hémorragie et inculquer un petit air d’ordre organisationnel et de sens civique à tous ces commerçants de l’informel dont nombre d’entre eux cachent derrière ce regard farouche, tout un lot de privations et de drames.

Somme toute, El Jadida ne fait que payer le tribut de sa réussite à tous les niveaux. En se démarquant nettement des autres contrées du pays pour s’imposer en tant que grand pôle attracteur dont la renommée a dépassé nos frontières, il serait donc inconcevable de s’étonner que les échos de cette mine puissent échapper aux prospecteurs nationaux, dont notamment les jeunes qui restent attentifs à la moindre occasion pour se faire une situation, même si cela leur coûte le nom de « ferrache » ou « ambulant ».

Enfin, on croit savoir que les services relevant de l’INDH sont entrés en ligne afin de contribuer à leur manière à l’allégement de ce fardeau devenu trop lourd pour El Jadida. Nous espérons que la trame proposée sera la bonne et pourra servir d’entrée en matière à d’autres initiatives qui tirent vers le même sens.